Écoles hassidiques : L’État et la société québécoise doivent dialoguer fermement avec les communautés sectaires
Dans son texte publié dans le quotidien Le Devoir dans l’édition du 20 septembre dernier (http://www.ledevoir.com/2006/09/20/118501.html?282), M. Pierre C. Noël, professeur agrégé à la faculté de théologie, d’éthique et de philosophie de l’Université de Sherbrooke, déforme certains de mes propos en plus de manifester une incompréhension totale du phénomène sectaire. Bien que je me réjouis qu’un universitaire manifeste publiquement son opinion sur ce dossier, je me dois de rectifier certaines de ses affirmations pour le bénéfice premier du débat.
Pierre C. Noël conclut son texte en affirmant que les écoles parallèles illégales hassidiques sont des exceptions que notre démocratie saine et sûre d’elle-même est capable de souffrir «dans la mesure, précise-t-il, où les communautés qui bénéficient de ces privilèges ne constituent pas une menace à la vie de l’ensemble des citoyens.» Dois-je rappeler que l’exception dont il s’agit ici prend la forme de jeunes adolescents à qui l’on enlève le droit de recevoir une éducation complète ? Le droit de pouvoir, avec toute leur fougue et leur esprit critique acéré, confronter leur vision du monde avec celles qui ont cours au sein de la nation québécoise contemporaine. Non, M. Noël, il ne s’agit pas d’une petite exception sans conséquence que notre démocratie peut souffrir ! Cela le deviendra lorsque ces jeunes, après avoir reçu une éducation digne de ce nom, choisiront, en toute connaissance de cause, de marcher sur le chemin parallèle et sectaire tracé par leurs parents. Pas avant ! Et même lorsqu’ils auront fait ce choix de vie, notre société aura toujours le devoir de les inciter à s’ouvrir aux autres.
Bien sûr que notre système d’éducation est imparfait ! Cependant, avec l’aide des professeurs, des parents et des médias, ce dernier est en mesure d’accompagner les jeunes sur un chemin aux multiples carrefours. Nos institutions scolaires peuvent former les jeunes à faire des choix de vie tout en sachant pourquoi ils en rejettent certains et en acceptent d’autres. Je ne suis pas sûr que le modèle éducatif proposé par certains hassidiques en fait autant…
Un abus qu’aucun Dieu ne peut justifier
Que des philosophes juifs ayant marqué le XXe siècle soient issus de ce genre d’écoles, comme le souligne M. Noël dans son texte, n’y change strictement rien et ne leur donne pas leurs lettres de noblesse ! Affirmer une telle chose revient à endosser l’incroyable argument d’une porte-parole du Ministère de l’Éducation qui faisait remarquer que la communauté hassidique cherche, par ce genre d’instruction, à former des rabbins compétents. Autrement dit, puisque tel est le but recherché, cette formation académique est justifiable. Que des hommes (et j’insiste sur le sexe) se soient démarqués ne rend pas le modèle d’éducation de certaines écoles hassidiques plus adéquat pour autant ! Tous les jeunes hassidiques ne deviendront pas des philosophes ou des rabbins ! Cependant, la grande majorité de ces adolescents n’auront pas été outillés pour être en mesure de choisir de s’intégrer librement dans notre société et la faire évoluer positivement ou de s’en exclure.
Le modèle proposé par le ministère de l’Éducation, bien qu’imparfait, est de très très loin préférable à celui imposé par certains hassidiques. Il ne faut pas oublier que nous évoluons en 2006 au sein d’une société moderne qui est loin très loin d’être fermée sur elle-même !
Par ailleurs, M. Pierre C. Noël se demande s’il appartient «à l’État de s’ingérer dans le type de valeurs et d’avenir que des parents veulent donner à leurs enfants.» Il répond lui-même à son interrogation en écrivant : «Personnellement, j’ai plusieurs réserves à propos de ce pouvoir d’intervention. Je ne dis pas que l’État ne doit jamais intervenir, mais il faudrait qu’il s’agisse de cas d’abus démontrés.» Autrement dit, M. Noël croit qu’empêcher des jeunes de recevoir une éducation complète au nom de la religion n’est pas abusif. N’en déplaise au professeur de théologie, cela est un abus qu’aucun Dieu ne peut justifier ! Que l’on demande à un État de faire respecter une de ses propres lois par le biais d’un dialogue ferme afin que cesse un abus tel que celui-ci n’est pas, comme l’affirme M. Noël, se comporter comme une majorité tyrannique !
École Rudolf Steiner de Montréal
Un abus tout à fait inconcevable puisqu’il existe, au sein même de notre système d’éducation si imparfait, des aménagements qui peuvent convenir aux parents désireux d’intégrer certaines de leurs valeurs au sein d’un enseignement complet et légal ! À titre d’exemple, mentionnons l’École Rudolf Steiner de Montréal. Cette institution privée s’inspire directement des enseignements ésotériques de Rudolf Steiner, ce maître en occultisme, né en 1861 et mort en 1925. Il existe environ 800 écoles de ce genre dans le monde. Mes recherches en vue d’écrire un livre à leur sujet, m’autorise à affirmer qu’elles ne sont pas sectaires, ni complètement en marge du système scolaire, même si elles le contestent fermement. L’École Rudolf Steiner de Montréal a opéré des années durant avec un permis du Ministère de l’Éducation sans toutefois obtenir l’agrément. Nous pouvons reprocher plusieurs choses à cette école montréalaise, ce que je fais d’ailleurs, mais certainement pas de former des jeunes socialement inadaptés. Toutefois, nous sommes en droit de poser plusieurs questions sur la présence de trois écoles publiques qui s’inspirent également des enseignements ésotériques de Rudolf Steiner… Quoi qu’il en soit, ces écoles prouvent que le système d’éducation québécois sait aménager des niches particulières afin de satisfaire à certaines attentes de parents ayant des valeurs sociales, politiques, économiques et religieuses qui ne sont pas en totale harmonie avec la majorité. Le problème se situe plutôt dans le fait que l’État ne semble pas toujours savoir quand dire non à des demandes d’accommodements !
Malgré ces accommodements, il arrive, trop souvent, que des communautés culturelles ou religieuses demeurent campées sur leurs positions sectaires. Certes, il est très fréquent de voir des familles d’immigrants récemment établies en sol québécois se confronter avec la société d’accueil. Leurs jeunes, notamment, préférent intégrer certaines de nos pratiques sociales à la culture transmise par leurs parents. Toutefois, dans le cas des communautés hassidiques, il ne s’agit pas de groupes issus de l’immigration récente. Elles sont ici depuis de nombreuses années. Pourtant, leurs membres limitent au minimum leurs relations avec notre société. Il est tout à fait normal, et salutaire, pour une société de chercher à comprendre les motivations qui supportent une telle attitude.
Dynamique sectaire
Ici nous entrons directement dans le monde complexe des mouvements sectaires. Affirmer que de tels mouvements vont par eux-mêmes se transformer et devenir ouverts à la diversité extérieure est la preuve que l’on ne connaît rien à la dynamique des groupes sectaires. Habituellement, un groupe sectaire possède une vision du monde en noir et blanc. Les noirs sont les impurs, les blancs les purs. Les impurs sont ceux qui ne sont pas membres de leur groupe. Les purs, on l’aura compris, ce sont eux. Comme la société et certains coreligionnaires moins orthodoxes sont considérés comme pécheurs et sources de tentations, les groupes sectaires ont tendance à limiter leur relation avec l’extérieur du mouvement afin de préserver leur pureté et de perdre leurs traditions.
Certes, les communautés hassidiques ne sont pas des sectes avec à leur tête des guides spirituels qui exploitent le désir religieux de leurs adeptes. Toutefois, certains signes nous démontrent que nous sommes devant des groupes sectaires. Le désir de certaines communautés hassidiques de ne pas permettre à leurs enfants de recevoir une éducation digne de ce nom en est un. Et il y en a d’autres. Dans un reportage présenté sur les ondes de TQS, l’animateur Jean-Luc Mongrain a fait dire à un responsable hassidique que la télévision n’est pas admise dans les foyers parce qu’elle pouvait corrompre les esprits. Certaines familles, a-t-il ajouté, excluent même la radio ! Seul les journaux sont admis. Dans un contexte sectaire religieux cela porte beaucoup plus à conséquence qu’un choix de vie fait par une famille qui tente d’extraire leurs enfants à l’emprise tentaculaire des médias dans notre société. Et il est fort à parier que si l’accès aux médias est contrôlé dans les communautés hassidiques, le libre choix en matière de lecture le soit également…Il serait trop long ici de poursuivre plus avant la liste des signes qui prouvent que nous sommes devant une communauté à l’esprit sectaire basé sur une idéologie religieuse.
Mon expertise du domaine sectaire me prouve que ces mouvements ne changent pas de l’intérieur si des pressions venant de l’extérieur ne sont pas exercées sur eux. Comment en serait-il autrement puisqu’ils sont convaincus d’être les seuls détenteurs de la Vérité et/ou les seuls à accomplir correctement la Volonté divine. Voilà bien pourquoi je demande à l’État de poursuivre le dialogue avec ces communautés mais plus fermement.
Laïcité ou laïcités ?
Devant la présence de ces mouvements sectaires et des groupes religieux organisés qui veulent imposer certaines de leurs valeurs qui ne respectent pas les plus nobles de notre société, je crois qu’il n’y a qu’un moyen, même si ce dernier n’est pas parfait : la laïcité. Dans son texte, M. Pierre C. Noël laisse entendre que je désire un État laïque à la française. Rien de plus faux. Brandir l’exemple de la France, tel un épouvantail, est chose facile. Toutefois, le concept de la laïcité est multiple. Une simple petite visite sur Internet suffit pour éclairer les lanternes de ceux qui veulent nous laisser dans le noir au sujet de la possibilité de créer un État laïque respectueux de valeurs religieuses de ses citoyens. Catholique et pratiquant, je crois qu’il n’a pas d’autres solutions possibles.
En attendant l’avènement de cet État laïque, la nation québécoise doit de manière urgente amorcer un débat de fond sur ce qui est acceptable en matière d’accommodements dits raisonnables. Même si cela risque de faire mal et d’être déchirant. Nous nous devons de le faire si nous voulons préserver ce Québec tel que nous le connaissons : accueillant et ouvert sur le monde.
En outre, l’État a l’obligation de construire des ponts afin que ces mouvements sectaires ne s’enfoncent davantage dans le cloaque de l’exclusion sociale. C’est une mission difficile et périlleuse. Ces ponts supporteront le dialogue, même ténu, entre notre société et ces groupes. Cependant, ces passerelles doivent être clairement balisées afin de protéger les acquis de notre société. L’obligation de donner aux enfants une éducation complète et respectueuse des droits et libertés ainsi que des valeurs de notre société est un de ces acquis que l’État doit protéger même si cela heurte certains mouvements sectaires.