La stigmatisation n’est pas une bande dessinée
Texte : Yves Casgrain
Batman et Robin ! Ces deux personnages d’une bande dessinée fort populaire, et qui prend l’affiche dans certains cinémas, sont les héros d’un monde improbable peuplé de psychotiques psychopathes meurtriers. Plus d’un lecteur de la revue Mentalité ont lu et vu les aventures passionnantes de ces légendaires justiciers sans pour autant se scandaliser du fait que les faire-valoir de Batman et de Robin sont tous dépeints comme des dangereux fous furieux. Devraient-on ?
Selon une étude réalisée en Nouvelle-Zélande, les enfants sont exposés, via les émissions qui leur sont destinés, aux préjugés véhiculés contre les personnes atteintes par la maladie mentale. Ainsi les personnages souffrant de problèmes psychiques sont dépeints comme des objets d’amusement, de dérision ou de peur. De plus leurs auteurs, qui ne font pas dans la dentelle, font de cas particuliers et spectaculaires une norme au sein de la communauté de personnes souffrant d’une maladie mentale. Même les films produits par Disney n’y échappent pas ! Un spécialiste a démontré que 21% des personnages principaux sont présentés comme souffrant de maladie mentale. Tout comme pour la programmation destinée à la télévision, ces derniers sont présentés comme des objets de peur, de dérision ou d’amusement. [1]
Lorsque ces jeunes téléspectateurs vieillissent, ces stéréotypes viennent les hanter aux travers les émissions de télévision et les films qu’ils écoutent. Aux États-unis, diverses études ont démontré que les personnages présentés comme atteints par une maladie mentale sont significativement plus violents que les personnes atteintes par des problèmes psychiques le sont dans la vie réelle. [2] Ainsi plus de 70% des personnages principaux atteints par une maladie mentale sont décrits comme des personnes violentes et plus de 20% comme des assassins. [3] Les films ne sont pas en reste puisqu’ils sont le repère de biens des malades mentaux meurtriers ou au mieux complètement désorganisés.
Bien que fictif, ce portrait véhiculé par les œuvres de fiction est malheureusement assimilé, de manière inconsciente, par les spectateurs généralement peu informés sur la réalité des personnes atteintes par une maladie psychique. Or, les conséquences des images négatives véhiculées par les médias sont profondes. Parmi elles, citons une estime de soi fragilisée.
Les préjugés entretenus par les médias sont une des causes de l’isolement d’une partie de la population atteinte par la maladie mentale. Toutefois, les médias peuvent être une source d’intégration comme en fait foi Mentalité et l’émission radiophonique Folie-Douce. En Argentine, une radio, nommée La Colifata, créée par un étudiant en psychiatrie, diffuse, en directe une fois la semaine et en reprise sur d’autres chaînes, une émission radiophonique. Celle-ci est animée par des patients du plus grand hôpital psychiatrique d’Argentine. Des politiciens, des artistes figurent parmi les invités. Près d’un tiers des participants ont été autorisés à quitter l’hôpital tout en suivant un traitement de jour. [4]
Alors faut-ils se scandaliser de constater que les faire-valoir de Batman et de Robin sont des fous furieux ? Peut-être pas ! Toutefois, il serait peut-être indiqué, comme le suggère certains, de dénoncer les téléromans, les films, les romans et autres œuvres de fiction contemporaines qui colportent des préjugés «tout en favorisant l’éclosion d’une représentation médiatique plus exacte et positive de la maladie mentale et des personnes qui en souffre.» [5] Il s’agit d’un combat en tout point «analogue à la lutte qu’ont dû mener d’autres groupes minoritaires ou défavorisés.» [6] Selon un spécialiste des médias, ces derniers «ne changerons pas tant qu’il n’y aura pas un mouvement de masse l’exigeant.» [7] Sommes-nous prêt à mener ce long combat ?
Un grand Merci !
Je profite de l’occasion pour féliciter Jo-Annie Amyot qui a gardé le fort durant mon année sabbatique. Grâce à elle Mentalité est demeurée une revue digne de ce nom. Toute l’équipe rédactionnelle se joint à moi pour te dire : MERCI !
[1] Heater Stuart, «Media Portrayal of Mental Illness and its Treatments. What Effect Does it Have on People with Mental Illness?», CNS Drugs 2006; 20 (2) : 99-106, pp. 100-101
[3] «Santé mentale, maladie mentale et toxicomanie : Aperçu des politiques et des programmes au Canada», Rapport 1, 7 octobre 2004, http://parl.gc.ca
[5] «Santé mentale, maladie mentale et toxicomanie», opus cité.